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Les mots de l'auteure nous placent avec virtuosité dans l'esprit d'un chien, rongé par l'attente de son maître
Au carrefour, il attend depuis des mois le retour de celui qui l'abandonné. une âme sensible en est émue.
Cracovie pue réellement, surtout l'été. Une odeur de tous les diables. Pas seulement les gaz d'échappement des automobiles souvent mal réglées. Pas seulement les fumées des usines que le vent rabat parfois vers la ville.
Il y a aussi l'odeur de la pisse humaine en particulier ; celle des chiens, c'est différent, peut-être parce que les chiens mangent à peu près tous la même chose, chiens de riches ou chiens errants ; surtout les chiens errants, d'ailleurs.
Tout en sensibilité et en demi-teinte, l'écriture de Manon Torielli, sans aucun pathos, fait merveille dans l'évocation de cette fidélité canine.
EXTRAIT
Neuf mois, que j'ai passés sur ce rond-point à me roussir le poil ou à me geler, selon le temps.
Neuf mois à attendre mon maître qui ne revenait pas. Neuf mois, encore une histoire proprement humaine, le temps d'une gestation, d'une grossesse. Que veux-tu, Dzok, à force de vivre auprès de ces étranges créatures, on finit par être influencé, on finit par penser et agir selon leurs codes et leurs lois, si bizarres fussent-ils.
J'ai connu les averses ; et non seulement la pluie me trempait au point que je n'avais même plus la force de me secouer la tripe, mais en plus, il y avait l'eau qui venait rebondir sur le goudron et me giclait dessus ; heureusement que je me tenais au sommet de cette espèce de petit dôme de béton, car j'aurais pu me noyer.
Et puis le soleil revenait, timide mais bienfaisant.
Je sais que j'empestais comme un bouc, surtout quand mes longs poils détrempés commençaient à sécher ; de moi montait une étrange vapeur nauséabonde.
Un matin, je fus réveillé par un parfum violent, sucré, capiteux. J'ouvris un oil, un visage était près du mien, deux grands yeux noirs me regardaient avec compassion ; ma pestilence n'avait pas l'air de gêner cette personne, dont l'odeur et l'allure étaient celles d'une femme jeune et très élégante.
A PROPOS DE L'AUTEUR
Naissance à Aix-en-Provence le 23 novembre 1955.
Manon Torielli obtient sa licence de Lettres à Nice et sa maîtrise à Aix-en-Provence. Elle écrit depuis fort longtemps : poésie, récits fantastiques, contes, romans, entre autres policiers, nouvelles. Mais elle a aussi beaucoup joué au théâtre : Molière, Camus, Sartre, des adaptations de Kafka, de Vian, de Zola, du Brecht, du Obaldia, du Tennessee Williams, du Loleh Bellon. Elle a animé des ateliers de théâtre avec les adultes et les adolescents et monté beaucoup de spectacles (Marcel Aymé, Giraudoux, Anouilh.).
Elle a également participé à un atelier de clown contemporain animé par Brice de Charentenay (La Compagnie du Grain) et a fait partie d'un petit ensemble choral. Au quotidien, elle est professeure de Lettres et elle écrit des polars qui ont pour cadre Marseille ou les Alpes-de-Haute-Provence ainsi que des récits fantastiques (contes, nouvelles, romans.). Elle a déjà publié un récit médiéval intitulé L'enlumineresse et aux éditions Demeter un roman policier à la croisée de plusieurs genres intitulé L'effaceur (juin 2011).