Limes N° 3 Ete 2000 : Les Grandes Caraibes. La Victoire De Don Quichotte

Les États-Unis changent, mais pas au sens où l'imaginent les philosophes. Vraie question géopolitique de demain et déjà en partie d'aujourd'hui, la latinisation du pays. Les habitants d'origine hispanique seraient aujourd'hui selon les estimations de l'US Census Bureau trente et un millions, donc 11,5 % de l'ensemble, Un nouvel immigrant sur deux vient d'Amérique latine. En 2050, leur proportion s'élèvera à 24,5 % dépassant donc celle des Afro-Américains. Le successeur de Bill Clinton à Ici Maison Blanche, quel qu'il soit, devra forcément tenir compte d'une semblable mutation. Épicentre du changement, les Grandes Caraïbes. Il s'agit d'une région qui va du sud des États-Unis, flanqué des deux océans et du golfe du Mexique, au Venezuela et à Io Colombie (voire peut-être l'Équateur). Espace d'immigration aux États-Unis, mois espace, également, de combat contre le terrorisme et le trafic des stupéfiants. Le cas de la Colombie, simulacre d'État de 1 141 748 km² et plus de quarante millions d'habitants bouleversé depuis une dizaine d'années par une guérilla marxisante (les Farc). Outre les rebelles et les farces gouvernementales y sévissent encore des formations paramilitaires souvent liées aux troupes régulières. La Colombie, c'est avant tout l'un des grands producteurs de drogue du monde, un bastion du narcotrafic à échelle panaméricaine et mondiale. Et Washington ci depuis longtemps fait de la lutte contre les cartels colombiens une de ses priorités. En vain. Mais en quoi la Colombie serait-elle stratégiquement plus importante que le Vietnam ? Le risque pour Washington est celui d'une contamination ou mieux d'une colombianisation des Grandes Caraïbes et de l'Amérique latine. Dérive que certains, aux États-Unis, souhaiteraient endiguer par une intervention militaire destinée à briser les Farc. Selon le quotidien péruvien La Republica, il y aurait cependant un plan secret de la CIA qui assigne un rôle important au Pérou et à l'Équateur en cas d'intervention anti-Farc. Les États-Unis renforçant parallèlement leur présence militaire dans la région. Des perspectives qui ne semblent pas soulever l'enthousiasme des populations concernées. Certains pays et forces latino-américains, en voie timide de désatellisation, entrevoient dans l'Europe un contrepoids éventuel aux États-Unis. Madrid fait ainsi preuve d'une intelligence remarquable. Elle puise dans son histoire pour construire une représentation géopolitique transatlantique, celle d'un ensemble ibéro-américain directement lié à l'Espagne qui se présente alors comme l'avant-garde de l'Europe. La France, à sa manière, ne reste pas inerte. Discret scénario dans certains milieux parisiens : l'indépendance de la Martinique et de la Guadeloupe, ces vestiges d'empire terriblement coûteux, à l'intérieur d'une fédération caribéenne elle-même articulée sur La Havane une fois Castro disparu et partageant avec Paris une orientation passablement anti-américaine ; un projet où pourraient agréablement communier gauche décolonisatrice et droite gaullienne.