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"entre ce qu'on sait et ce qu'on arrive à vivre, y'a des
romans", nous disait-il en janvier au Petit Palais
Question numéro six : et l'écrivain, dans le numérique,
reste-t-il le même ? Bien évidemment que oui, se
récriera-t-on : il est à sa table, il a remplacé la plume ou
la machine àécrire par l'ordinateur et l'imprimante, et, une fois
le travail fini, le porte à son éditeur. Mais pas si simple.
La
machine àécrire, et la forme de ce qu'on donnait à l'imprimeur, a
toujours été liée aux formes particulières à chaque époque (la
presse, le cabinet de lecture, le poche en sont des exemples - et
ce duc de Ferrare, qui refusait les livres imprimés dans sa
bibliothèque, « parce qu'ils manquent d'âme » ?). Ce
qui ne change pas, c'est la curiosité, et qu'on mette en tension le
langage et ce qu'il représente.
Et ce qu'on nomme littérature,
plutôt la résultante ou l'accumulation de ces points nodaux
singuliers, où cette relation du langage au monde a été déplacée -
et parfois même si discrètement. Ainsi l'itinéraire singulier de
Jacques Serena : des études d'arts plastiques, dans cette
frange méditerranéenne de la France, l'errance, des livres écrits
pour d'autres. Et, dans cette période issue du grand bouleversement
des années 60 et du rock, l'illusion qu'on partageait autrement les
villes.
Nomadisme, expérience des limites, et pour vivre, vendre et
fabriquer des objets de cuir sur les marchés, l'été, trafiquer des
posters achetés en gros à Milan, l'hiver. Et c'est ce monde-là qui
s'entend dès le premier livre publié sous le pseudonyme incertain
de Jacques Serena, comme s'il y avait une vie noble pour l'auteur à
côté ou au-dessus de ce dont il témoigne : Isabelle de dos, et
qui culmine dans ce livre fait d'instants au volant d'une voiture,
la nuit sur une autoroute, dans une piaule de centre-ville avec
clignotement d'une enseigne bleu au loin, et d'un narrateur perché
sur tabouret face à miroir, dans Lendemain de fête.
Ce à partir de
quoi l'auteur pseudonyme Jacques Serena aurait pu envisager une vie
confortable ? Mais ces textes qu'il écrit, c'est un monde fait
de croisements, d'instants. Les lieux mêmes appellent, à côté des
livres publiés chez Minuit, une galaxie d'ensembles brefs. Et ces
récits, liés à ces narrateurs de pauvres paroles, sont des objets
qui demandent qu'eux-mêmes on les charge, de notre corps, de notre
parole.
De grands acteurs et metteurs en scène se sont emparés desétranges situations de Serena, dans ces lieux non identifiés des
fonds de ville, où la précarité n'est pas décrite, mais symbolisée
par quelques points fixes, boîte de thon (on en retrouve une dans
Artisans) et nouilles mal cuites, un tee-shirt pour tout bagage. Un
monde qui, pour l'écrire, suppose qu'on arpente soi-même, sinon ces
lieux qui furent un temps les vôtres, les locuteurs qui les
affrontent à distance ? Jacques Serena est pour moi un
compagnon d'ateliers d'écriture : ce qu'on apprend à ces
expériences, qu'il continue lui aussi, c'est le langage à sa limite- et s'il reste un absolu, une nécessité, là même où le monde
implique l'écrasement des êtres.
Puis une musique, un art
particulier de l'oralité, du regard sans distance sur l'extrême
proche, une façon singulière de dialogue : la narration a
toujours d'abord été musique. Alors Jacques Serena pour conclure
cette série de six textes, parce que la figure de l'auteur, le
fractionnement et la circulation des textes, l'appel aux voix,
l'expérience où on doit se placer soi-même, sont des indicateurs
importants, dans l'onde de choc qui saisit l'univers autrement
stable des livres.
FB
liens
Jacques Séréna aux éditions de
Minuit
Wagon, de Jacques Serena (Lien -> http://www.publie.net/tnc/spip.php?article150), sur publie.net
Fiévreuse, aux éditions
Argoll'auteur
Né en 1950.
Vit dans le sud de la France.
Premier roman en 1989 aux éditions de Minuit.
Depuis, publications épisodiques chez le même éditeur, ainsi que
chez divers autres.
En 1994, appel de Jean-Louis Martinelli, commande d'un premier
texte dramatique. Ecrivain associé du Théâtre National de
Strasbourg.
Création d'ateliers d'écriture en milieux carcéraux et
défavorisés.
Collaboration avec Raoul Vaneigem sur Paresse (Ed.
Centre G.
Pompidou). Esprit de Corps (1997) monologue créé par Charles
Berling.
Rimmel (1998) mise en scène. Joël Jouanneau.
Gouaches (2000), m.e.s. J. Jouanneau.
Velvette (2000), m.e.s. J. Jouanneau, avec Jeanne Balibar, musique
de Rodolphe. Burger. Quart D'Heure (2002) créé en Avignon par
Ludivine Sagnier.
2002, 2005, 2007, publication de trois nouveaux romans aux Editions
de Minuit.
Et commandes de textes dramatiques pour la radio (France Culture)
et le théâtre (Théâtre du Rond-Point, Théâtre Ouvert, Théâtre du
Festin, Théâtre Nanterre Les Amandiers, etc.).
BIBLIOGRAPHIE aux Editions de Minuit :
ISABELLE DE DOS.
Roman, 1989.
BASSE VILLE. Roman, 1992.
LENDEMAIN DE FETE. Roman, 1993.
RIMMEL. Théâtre, 1998.
PLUS RIEN DIRE SANS TOI, roman, 2002.
L'ACROBATE, roman, 2005.
SOUS LE NEFLIER, roman, 2007.
Chez d'autres éditeurs :
PARESSE (avec Raoul Vaneigem), 1996. Ed. Centre G.
Pompidou.
ESPRIT DE CORPS. 1997. Ed. Via Voltaire.
FLEURS CUEILLIES POUR RIEN (sur Gustav Klimt), 1999. Ed.
Flohic
GOUACHES.
Théâtre. Editions Tapuscrits Théâtre Ouvert.
VOLEUR DE GUIRLANDES. Nouvelle. Le Verger Editeur.
QUART D'HEURE (+ Clients), Théâtre, 2001, Ed. Les Solitaires
Intempestifs
VELVETTE (+ Jetée), 2001, Ed. Les Solitaires Intempestifs
LES FIEVREUSES, 2006, Argol.