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À Touva, en Sibérie du Sud, des individus remarquables aux capacités sortant de l'ordinaire sont identifiés comme chamanes. On les sollicite pour voir l'invisible, faire venir le bonheur, chasser les maladies, dénouer des affaires de sorcellerie, dialoguer avec les défunts. Aux chamanes sont réservées des actions et des paroles dont les « gens simples » s'estiment incapables. Pourtant, les profanes ne laissent pas de se méfier des chamanes qu'ils fréquentent et de tester leurs talents pour déjouer les « imposteurs ».
Depuis la chute de l'URSS, le chamanisme fait partie du paysage urbain à Kyzyl, capitale de la république touva. L'autorité paradoxale dont jouissent actuellement les chamanes a de quoi surprendre si l'on songe aux répressions antireligieuses violentes et aux bouleversements subis par cette société au cours de l'époque socialiste. Pourquoi des chamanes apparaissent-ils ? À quoi tient leur autorité et comment se manifeste leur pouvoir ? Comment les Touvas distinguent-ils un « vrai chamane » d'un « charlatan » à l'époque postsoviétique ? À partir d'une enquête ethnographique, cet ouvrage examine les fondements cognitifs et relationnels de la division des compétences rituelles entre spécialistes et profanes.
Remettant en cause le modèle classique de l'« élection » et de l'« initiation » du chamane par les esprits, l'auteur montre que la qualité de chamane est conçue comme un fait incorporé, souvent inné, qui se développe dans la violence. Loin d'être réductible à une cosmologie exotique, le chamanisme s'avère fondé sur des principes généraux de la pensée humaine qu'il contribue en retour à éclairer.