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De l'Éros cosmogonique est un des livres philosophiques les plus lus des années vingt. Ludwig Klages (1872-1956), représentant éminent du vitalisme allemand, y fait l'archéologie d'une idée de " l'éros élémentaire " complètement sortie, selon lui, de la conscience de ses contemporains. Réussissant à marier de manière originale clarté conceptuelle et élan poétique, le philosophe développe deux concepts majeurs qui anticipent sur son célèbre ouvrage principal, L'Esprit en tant qu'antagoniste de l'âme :l'"< éros du lointain " et la " réalité des images ".
L'approfondissement de ces concepts, de la nature de " l'extase " et du " culte des ancêtres ", étayé de connaissances ethnologiques considérables, lui permet d'établir une distinction rigoureuse entre " sexus " et " éros " et de libérer, pour reprendre les termes de sa préface, " des filets mensongers des apôtres du sexe la songerie et les méditations de tous ceux qui dans les Mystères antiques cherchent les grains d'or du savoir ".
L'image idéaltypique du monde pélasgien qu'ébauche sa philosophie, ainsi que la critique de la métaphysique et de la civilisation modernes qui en découle recèlent, de manière souvent inattendue, de nombreuses résonances avec des penseurs qui lui ont succédé. Avant Freud, contre lequel se dirige du moins partiellement cet écrit, Klages avait systématisé la notion du "Ça" ; il est le représentant éminent de la critique du.", logo-centrisme " moderne, terme qu'il a par ailleurs inventé, et la thèse de la " dialectique de la raison ", soutenue par Max Horkheimer et Theodor W Adomo vers la fin de la guerre aussi bien que la notion d' " aura" chez Walter Benjamin lui doivent sans doute beaucoup.
Ce dernier écrivit le 28 février 1923 à Klages : " Permettez-moi de vous dire quelle joie et quelle confirmation de mes propres idées j'ai tirées, avec un sentiment de gratitude, de votre écrit sur l'Eros cosmogonique ". " Dans ce livre sur l'éros cosmogonique ", écrit à son tour Hermann Hesse, "dans plusieurs pages, quelque chose de presque ineffable s'est fait parole ". La traduction de ce texte, qui à maint égard peut se lire comme une introduction à l'oeuvre monumentale L'Esprit en tant qu 'antagoniste de l'âme, invite à redécouvrir en Ludwig Klages un penseur qui réunit rigueur analytique, profondeur de l'inspiration et audace intellectuelle, et dont l'intempestivité radicale est peut-être plus que jamais d'actualité.