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René Crevel (1900-1935)
"Ma mère était de celles qui gardent la tradition des housses sur les fauteuils et de l'ennui, méprisent les jolies femmes et les hommes gais, détestent les bijoux, les oiseaux de paradis et les dentelles.
Brune et sans grâce, elle incarnait, dans le genre maigre, la bourgeoise dite de tête. Elle m'aimait beaucoup, voulut faire de moi un homme rangé comme une armoire à glace, m'apprit l'arithmétique, les principes de la civilité puérile et honnête, le catéchisme.
« Deux fois deux quatre - on ne met pas ses coudes sur la table - Dieu est un pur esprit créateur du ciel et de la terre. - On embrasse sa mère le soir avant de se coucher. » Même la tendresse lui semblait réglementaire et moi, je préférais aux siennes les joues de la femme de chambre qui avait la peau douce et se parfumait à l'oillet.
Mon père était dans l'armée. Ses amis disaient de lui : « Quel vieux rigolo ! » Moi, je lui en voulais de ne pas faire plus grand cas de ma petite personne.
J'avais encore une sour. Elle était mon aînée de treize ans. J'étais fort jeune lorsqu'elle se maria.
Donc, enfant sans gaieté, je pris l'habitude lâche de l'espoir. Dès que j'eus notion de la semaine, le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi, le vendredi, le samedi me furent attente. Six jours sur sept pour penser au dimanche où l'ennui s'affinait jusqu'à la déception parce qu'on déjeunait en ville."
1er roman de de l'écrivain surréaliste René Crevel.
Roman court.