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La dénonciation du totalitarisme alimente aujourd'hui le procès de l'imagination utopique. Mais cette remise en cause salutaire demeure partielle tant qu'on ne démystifie pas la prétention de l'utopie à incarner la figure idéale du rêve et de l'espérance. Il est possible d'éclairer la lourde responsabilité de l'utopie dans la crise moderne de l'imaginaire : jouant sur tous les tableaux, investissant la littérature comme la praxis, elle a contribué à appauvrir, orienter, et finalement stériliser l'imagination individuelle et collective.
C'est cet entrelacement subtil d'une écriture stéréotypée et d'un activisme messianique qui a permis à l'utopie occidentale de prendre en charge toute la dynamique sociale et culturelle, en enfermant l'imagination dans le carcan du modèle unique. La confrontation de l'utopie avec les données les plus récentes de l'anthropologie symbolique, de la pathologie culturelle et des sciences religieuses permet d'opérer une émancipation de l'image, confisquée et aliénée jusqu'alors par l'histoire à son usage exclusif, et d'ouvrir à l'imaginaire un champ nouveau.
La critique des utopies ne se confond plus, dès lors, avec une simple indignation morale ou un repli sceptique, mais s'ouvre sur la réconciliation urgente de l'homme moderne avec le sens de la pluralité et de la profondeur, et sur la redécouverte d'une lecture mythique et poétique du monde.