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La plupart des recherches reconnaissent à présent que les émotions, loin d'être des impulsions irrationnelles, sont au contraire des médiations cognitives et des appuis pratiques dont aucune action ne saurait se passer. Cette réhabilitation des émotions s'est vue toutefois reprocher son absence d'intérêt pour les sentiments diffus et la résonance parfois indisciplinée des corps. Or, ce sont précisément ces échappées affectives que l'on retrouve de façon particulièrement vive dans les émotions collectives.
Ces dernières, sans corps propre, semblent disparaître ou s'évaporer dès que l'on s'en approche de trop près. Comment alors identifier avec certitude les émotions souvent « liquides » ou « gazeuses » qui sous-tendent et animent les conduites publiques ? Et comment les mettre en mots analytiques ? Pendant longtemps, une des façons de résoudre cette question a consisté à associer les émotions collectives aux moments d'effervescence qui leur confèrent une réalité tangible.
Mais il y a des manières moins visibles de « partager » les émotions, y compris à distance, notamment par l'intermédiaire des médias ou des réseaux sociaux, qui infléchissent tout autant les comportements. À ces problèmes épistémologiques et méthodologiques s'ajoute un problème ontologique : si l'émotion exige par définition un point d'ancrage corporel et donc singulier, comment peut-elle devenir collective et impersonnelle ? C'est dire si les émotions collectives ravivent certaines questions fondamentales des sciences sociales, notamment celles concernant les liens entre l'expérience individuelle et l'appartenance collective, l'événement éphémère et les sensibilités au long cours, la co-présence des corps et les liens à distance, l'imprévisibilité du ressenti et l'organisation rituelle des conduites.
Objet épistémologique et ontologique impossible, l'émotion collective n'en est pas moins un phénomène social que les enquêtes théoriques et empiriques de ce volume tentent, chacune à leur manière, de « sauver ».