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Quand l'usure de la mémoire atteint Nettie, il est temps pour Georges de regretter son premier amour.Nettie ne se souvient plus que le repas est déjà dans le four. Alors elle prend un autre plat et dispose à nouveau les couches de légumes, de viande hachée, avec un peu de crème et de fromage râpé. Nettie refait les gestes qui la rassurent. Au moins n'est-elle plus en train d'essayer de se rappeler.
Georges secoue la tête. Bien sûr que non, elle ne se souviendra pas de la promesse d'il y a cinquante ans. Au fond, il a bien fait de les appeler. Qu'ils viennent le plus vite possible, ça ne peut pas durer. C'est trop douloureux de la voir comme ça. Louisa Kern possède la faculté d'embarquer le lecteur sur des voies étranges, où le réel n'est jamais vrai, où le mystère est une autre forme de réalité.
Le faux semblant est ici manié par une nouvelliste de grand talent. EXTRAITDevant lui, dans la cuisine, Nettie tourne et virevolte. Lave et épluche des légumes, les découpe en tranches, en dés ou en fines lamelles. De là où il est, Georges ne peut pas bien voir. Il en est encore à s'émerveiller de ce qu'elle l'ait suivi, cinquante ans auparavant. Ce jour-là, elle a tout accepté d'un coup. Le vendeur a même plaisanté à ce sujet, Georges s'en souvient en fronçant les sourcils.
Il a prononcé cette phrase étrange. Il a affirmé que Nettie lui avait déjà tout pardonné. Tout pardonné d'avance, c'est ce qu'il a dit. Et Nettie a acquiescé, bizarrement, elle a dit oui avec une certitude inébranlable. Georges a la gorge nouée en repensant à cette phrase, cinquante ans plus tard. C'est bien trop dur de tout pardonner à l'avance. Comment aurait-il pu lui demander cela ?À PROPOS DE L'AUTEURNée à Paris, Louisa Kern vit aujourd'hui dans le sud de la France.
Elle a expérimenté des boulots qui n'ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres, puisqu'elle est passée du conseil dans l'industrie lourde à l'enseignement spécialisé auprès de jeunes handicapés. Mais depuis toujours ou presque, elle a gardé la même façon de se dégrisailler le quotidien en écrivant des histoires. Très fière de faire partie des auteurs Ska, elle a déjà publié sous format papier des nouvelles dans des recueils collectifs, puis un roman jeunesse, Fatou n'a qu'une jambe, aux éditions Caïman et un album, Saudade di Mar, aux éditions Grandir.
Publier sous format électronique est à peu près la seule activité hyper tendance qu'elle pratique. Pour le reste, avouons-le franchement, Louisa Kern ne porte aucun tatouage et ne danse pas la zumba. (.Mais le format électronique, c'est chic !)