En cours de chargement...
Cinquième pilier de la foi musulmane, le pèlerinage à La Mecque (?ajj) attire chaque année, depuis le VIIe siècle, des milliers de musulmans vers les villes saintes du Hedjaz. Manifestation unitaire et identitaire du monde musulman, le ?ajj semble à première vue n'entretenir que des rapports lointains avec une Europe qui dispose à Rome, à Jérusalem ou encore à Saint-Jacques de Compostelle de ses propres lieux de pèlerinage.
Et pourtant, à la suite de la colonisation d'une grande partie du monde musulman, les puissances impériales européennes ont, de leur propre initiative ou poussées par les événements, fait le choix d'une ingérence croissante dans l'organisation du pèlerinage à La Mecque. Qui oserait imaginer que des voyageurs britanniques, français, hollandais, russes, italiens et, dans une moindre mesure, autrichiens et espagnols, déguisés en émir alépin en médecin afghan, ont franchi, parfois au péril de leur vie, le périmètre sacré interdit aux infidèles, là où les Musulmans des empires pouvaient se voir refuser, pour des raisons sanitaires ou politiques, d'accomplir leur devoir religieux ? Qui se douterait encore aujourd'hui qu'Aristide Briand ou Benito Mussolini, à l'instar des sultans mamelouks ou des califes ottomans, ont attaché un soin particulier à la préparation des caravanes de pèlerinage ? C'est ce « moment colonial » du ?ajj que cet ouvrage cherche à retracer : loin d'avoir les yeux rivés sur leur seul empire, les Européens n'ont cessé, des années 1840 au début de la décennie 1960, de s'épier, de s'imiter, de se jauger, faisant du ?ajj le terrain de cette confrontation permanente.
Ignorant les frontières impériales, les pèlerins musulmans eux-mêmes ont contribué à faire du ?ajj une réalité transnationale, suscitant en retour la crainte des autorités coloniales, toujours promptes à voir dans cette manifestation l'ombre d'un complot panislamique. Au fil des années, l'Europe n'en a pas moins accompagné la transformation du ?ajj en un phénomène de masse, quand elle n'a pas cherché à inventer de nouvelles formes de pèlerinage, avant que la réalité de la décolonisation ne vienne réduire à néant les rêves de grandeur de ces « puissances musulmanes ».