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« La créature humaine est capable aussi bien de pratiquer l'anthropophagie, que d'écrire la Critique de la raison pure » (Essais, p. 141).
Comment penser l'homme, sans avoir à postuler - sur le mode des anthropologies philosophiques traditionnelles - une « nature » humaine dotée d'attributs définis ? Tel est le problème soulevé par Robert Musil dans son ouvre essayiste et romanesque. La seule « vérité » anthropologique que l'on puisse énoncer, est négative : l'homme ne possède pas de forme propre, sinon celles que lui donne la réalité socioculturelle constituant son horizon de pensée et d'expérience.
Au regard de cet « amorphisme » constitutif, l'idéal d'un sujet autonome et souverain se révèle illusoire. Musil pose les fondements théoriques de son intuition, en mobilisant différentes perspectives scientifiques : l'ethnologie, le calcul des probabilités et - en premier lieu - la psychologie de la forme (Gestaltpsychologie). Son roman, « L'Homme sans qualités », devient le site expérimental d'un dialogue avec ces différents savoirs, dans le cadre d'une enquête sur les formes possibles de l'expérience humaine.
La signification politique d'un tel projet devient manifeste à la lumière du contexte idéologique de l'entre-deux-guerres. L'anthropologie musilienne oppose une fin de non-recevoir aux théories raciales, et aux morphologies culturelles, ainsi qu'à leur définition normative des types humains. On voit se dessiner - à travers cette étude de l'ouvre musilienne sous l'angle inédit de la question anthropologique - la figure d'un écrivain remarquablement attentif aux controverses idéologiques, ainsi qu'à l'évolution politique de l'Europe des années vingt et trente.
La réponse de Musil - à ce qu'il perçoit comme une crise de l'homme européen - se fonde sur une écriture littéraire nourrie d'une vaste culture scientifique.