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George Bowling, narrateur, personnage central et avatar de l'auteur, vétéran de 14-18, est représentant en assurances, (mal) marié et père de deux enfants. En 1938, il a quarante-cinq ans. Le pressentiment d'une guerre prochaine déclenche en lui le souvenir de son enfance et de son adolescence à Binfield-le-Bas, petit village anglais qu'il se rappelle comme le pays de cocagne d'avant la guerre : « Avant la guerre, dit-il, et plus particulièrement avant la guerre des Boers, c'était l'été l'année durant ».
Cette nostalgie l'entraîne à revenir au village, sur les lieux de ses dernières « prouesses ». Ce qu'Orwell n'avait pas prémédité, c'est qu'en transposant des souvenirs d'enfance il allait écrire un roman poétique. Dans la poésie d'Un peu d'air frais se trame un contraste vigoureux entre ce qui fut, les temps naïfs, et ce qui est et demeure. Le titre original, Coming Up for Air, fait allusion aux poissons qui font surface, mais, par métaphore, recouvre un sens plus général : l'appel d'air qui pousse un homme accablé par la prescience de la guerre proche (Hitler et Staline réapparaissent en tandem, pourchassant le narrateur en proie à un cauchemar éveillé) jusqu'aux « verts paradis » de son enfance.
Alors qu'Orwell s'était mis à l'ouvrage, il confiait à ses correspondants qu'une autre idée lui était venue, d'un livre qui ne passerait pas inaperçu. De fait, Un peu d'air frais annonce et amorce déjà 1984.
Un peu d'Orwell
Il ne serait pas exagéré d'affirmer que pratiquement tout le monde a déjà entendu le nom d'Orwell de surcroît associé, à tous les coups, que ce soit dans les médias ou les programmes scolaires, à deux de ses livres : La Ferme des Animaux et 1984. Ceci souvent pour parler des dérives sécuritaires et des manipulations de la réalité faisant régulièrement surface dans notre société.
Tout cela est, à bien des égards, assez réducteur dans la mesure où l'œuvre d'Orwell, d'une part, est plus abondante (et disponible aux très belles éditions Ivréa et de l'Encyclopédie des Nuisances) et, d'autre part, fourmille d'autres thèmes qui n'ont pas perdu de leur actualité.
Parmi cette œuvre, Un peu d'air frais est un roman qui vaut bien 1984. Les deux contiennent d'ailleurs certaines idées semblables. L'histoire est simple: au seuil du second conflit mondial, un vendeur en assurance, archétype de la classe moyenne anglaise, s'échappe de son morne quotidien d'abord au sens figuré en se souvenant des moments les plus heureux de son enfance passée dans la campagne anglaise avant la Première Guerre Mondiale, puis au sens littéral lorsqu'il décide de retourner dans son village natal quarante ans après en être parti pour retrouver un peu du bonheur goûté dans ses souvenirs idéalisés, sans se douter que ce village a bien changé depuis.
Roman sur l'enfance, la nostalgie et la fuite du temps, il est surtout une charge contre la société industrielle : thème, on ne le sait pas assez, au combien orwellien. Car, avec son humour typiquement anglais, Orwell, à travers les pensées de son narrateur, décrit le passage du monde d'avant la première guerre industrielle où, certes la vie était moins confortable mais plus stable et proche de la nature et de ses merveilles au monde moderne artificialisé et enlaidi. A ce titre, le lieu de naissance du narrateur est symptomatique car le village campagnard tranquille entouré de forêts et de rivières est devenu une ville moyenne ravagée par les lotissements et les usines.
Le spectre de la Seconde Guerre Mondiale et de ses débouchés hante le roman et le narrateur, alter ego d'Orwell qui avait bien pressenti l'évolution certaine de cette société industrielle vers le totalitarisme, si bien décrit ensuite dans 1984.