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Que peut faire un clerc de l'administration royale, à la fin du XIIe siècle, s'il est doté d'un humour féroce, d'une langue agile, d'une culture vaste et éclectique, d'un goût irrépressible pour les bonnes histoires colorées et corsées, face à la montée en force des nouvelles modes littéraires de la littérature en français et des romans courtois ? Il prend une plume et rédige de "bonnes histoires pour les gens de cour", pour montrer qu'on peut s'amuser en latin, de façon moins ridicule à ses yeux que ceux qui pâlissent d'amour aux pieds des dames.
Gautier Map, clerc anglais richement prébendé, grand conteur et amuseur des milieux de la cour de Henri II Plantagenêt, est à la fois attiré et agacé par les thèmes fantastiques, merveilleux et amoureux qui font les délices de la cour anglaise lorsque la reine Aliénor y séjourne. Il veut faire encore mieux : plus varié, plus subtil, plus savant, plus drôle et moins naïf. S'il méprise l'amour courtois, ce n'est pas par pudibonderie ; s'il écrit dans la langue savante de son temps, ce n'est pas par timidité.
Son oeuvre, que par nonchalance sans doute il garda dans ses papiers personnels, est fantaisiste, insolente, ironique ; c'est pour les ethnologues un réservoir de renseignements sur des coutumes et des traditions que personne avant lui n'avait notées, pour les historiens de la littérature un témoignage d'une époque où rien n'était encore joué entre la langue vulgaire et le latin (qui pouvaient encore se donner la réplique), pour tous un moment privilégié de l'émergence dans la littérature européenne d'un art du récit qui aboutit de temps en temps, dans ce recueil jamais ennuyeux ni banal, à d'éblouissantes réussites.