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Durant l'hiver 1899-1900, alors qu'une épidémie de grippe sévit, Charles Péguy, jeune fondateur des "Cahiers de la Quinzaine", est terrassé par le virus. Il a soudain peur de mourir mais, passé la prise de conscience sur la fragilité de la condition humaine, il ne s'apitoie pas sur son sort et publie bientôt trois textes : "De la grippe", "Encore de la grippe" et "Toujours de la grippe" (datés respectivement de février, mars et avril 1900), à la fois récit de son expérience et méditation sur la maladie, aussi bien individuelle que sociale.
Péguy consulte d'abord un brave médecin de famille, vrai soignant de terrain, qui l'invite à se confiner et à s'aliter. Puis un autre docteur apparaît, citoyen socialiste révolutionnaire et internationaliste, plus moraliste, qui s'intéresse pour sa part davantage à la maladie du corps social. Il lui conseille de lire la célèbre "Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies" de Blaise Pascal, qui associe la destruction du corps individuel à la destruction du monde.
Mais une histoire de femme dévote, morte d'une fluxion de poitrine après avoir trop prié dans le froid courant d'air d'une église, l'incite à relativiser la question de la foi catholique, par trop complice de l'enfer de la maladie et de la mort. Sophocle est alors cité à propos de la condamnation d'Antigone emmurée vive, renvoyant à la puissance et la permanence du mal. Après Pascal, Corneille et Sophocle, Danton le révolutionnaire est à son tour invoqué à propos de l'appel à sauver la patrie ("de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace").
Enfin, les "Dialogues philosophiques" d'Ernest Renan sont prétexte à de nouvelles réflexions sur un autre versant de ce "monde malade". Les médecins peuvent livrer à leurs patients la vérité sur leur maladie intime, mais, pour ce qui est de la fragilité et de la maladie du corps collectif, le secret reste bien gardé par les gouvernants. Le citoyen ne sait plus à quelle vérité se vouer.