Il sera ingénieur, rêvait son violoniste de père. Le petit Gaston Ghrénassia miraculeusement doué pour la musique et le chant rêvait, lui, de sa guitare confisquée et vocalisait en secret. On n'échappe pas à son destin. Quelques images tombées d'une voix et d'une guitare suffisent à faire d'un inconnu un élu. Avec Adieu mon pays celui qui est désormais Enrico Macias devient le chantre des exilés. Il aurait pu n'être que le Tino Rossi des pieds-noirs, il va connaître un destin fabuleux. Il incarne les rêves nostalgiques de tous les paradis perdus, des âges d'or disparus, Jérusalem et Grenade, l'Algérie et toutes les patries arrachées, l'espoir de l'impossible réconciliation de la lignée d'Abraham, Israël et Ismaël, réaccordée comme ces rythmes judéo-andalous miraculeusement et fidèlement transmis dont Enrico devient le dépositaire privilégié. Au pied des Pyramides, un jour de 1979 devant Anouar el-Sadate qui vient de signer les accords de Camp David, le petit juif de Constantine, interdit au Moyen-Orient, chante Le Grand Pardon et Noël à Jérusalem. Les assassins ont tué Sadate, et Rabin comme ils avaient tué le père spirituel d'Enrico, archétype du métissage culturel, Raymond Leyris. Ils n'ont pas tué l'espoir. La carrière d'Enrico, ambassadeur de l'ONU, messager de la paix, idole des foules, quarante ans de succès sans concession, montre que les miracles se réalisent parfois. Pudique et chaleureux ce portrait, comme brossé de l'intérieur par Gérard Calmettes, dépasse l'anecdotique pour introduire le lecteur au cœur même de l'inspiration qui fait un artiste et surtout un homme.