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François est le prénom d'un frère imaginaire. Un frère aîné, dont la présence tutélaire aurait permis à Pierre Bergounioux de recoudre les lambeaux épars d'une insondable origine. François est celui qui aurait su. Qui aurait été le témoin des derniers feux d'une histoire familiale déchiquetée par les deux guerres qui se sont succédées dans la première moitié du vingtième siècle. Si les accidents géologiques, et géographiques, disposent sans ménagements de l'âme des êtres auxquels ils ont échu, ces opérations ne s'accomplissent que dans le temps, celui de l'histoire collective.
Pour comprendre l'absence au monde d'un père, prendre la mesure de sa mélancolie, il a manqué à Pierre Bergounioux les quelques repères qui lui auraient permis de retisser les liens, de saisir le double enfermement où il a, dès l'abord, résidé : celui d'une province enclavée, sans réel contact avec les confins radieux des plateaux calcaires et ensoleillés du Quercy, entraperçus au sud du Limousin, d'une part, celui du mutisme radical d'un paternel que la présence d'un fils n'a jamais pu ranimer, d'autre part.
C'est donc dans les limbes que ce livre profond et émouvant se faufile, à travers les linéaments d'une ascendance tenue comme au secret et qu'il lui a fallu reconstituer à partir de quelques fragments minuscules pour continuer à vivre, à penser, à s'émouvoir, à la suite d'un homme qui y avait renoncé. Pour la première fois sans doute, dans toute son oeuvre, Pierre Bergounioux établit le détail de la conjonction funeste qui lui a fait prendre pied au bord occidental ingrat du vieux massif central, en 1949.
Quantité de membres de la parentèle, jusqu'alors méconnus, invisibles, y apparaissent, comme enfin sortis de l'ombre : quatre générations qui lui ont donné le jour. Le lecteur ne sera pas fâché de voir figurer en annexe un arbre généalogique. "C'est tard qu'on tire parti des expériences liminaires. Elles dépassent tellement notre discernement, nos courtes personnes, qu'elles restent prises dans un repli de la mémoire jusqu'à ce qu'il s'avère, un jour, qu'elles expliquent presque tout.
On se demande comment on a bien pu ne pas voir ce qui crève les yeux alors qu'il faut l'avoir perdu pour s'en aviser. La conscience, qui est notre contribution amère, douteuse, fugace et lacunaire, à la réalité, nous la tirons de la perte et de la destruction". P. B.