En Belgique, toutes les institutions savantes contemporaines liées à la connaissance des mondes lointains trouvent leur origine dans l'expérience coloniale. La saisie savante et scientifique des mondes lointains et l'invention d'une vocation coloniale nationale, la construction d'une ambition impériale et finalement d'un pouvoir colonial doté d'une idéologie, bref de la " colonialité " belge, apparaissent donc inextricablement liées, en particulier dans le domaine des " sciences morales et politiques ", ancêtres des sciences humaines et sociales.
L'emphase, l'incessante production bibliographique et les ors des palais coloniaux ne sauraient occulter les crises, polémiques et tentatives, heureuses ou catastrophiques, (l'ingénierie sociale sur le " matériau congolais " dont la connaissance était périodiquement dénoncée comme insuffisante ou impropre à une administration efficace mais qui, ainsi, devenait objet de science. De la tragédie démographique découverte à l'issue du régime léopoldien à la " colonie modèle ", un tiers de siècle aura été nécessaire pour stabiliser le dispositif colonial de production savante, pour articuler les centaines de démarches empiriques des missionnaires, des magistrats, administrateurs et ingénieurs " congolais " et la science des docteurs de métropole désormais cooptés par l'impérialisme européen, artisans actifs de l'hégémonie savante occidentale. Produites dans (les institutions nouvelles au nombre desquelles Académies, Université, Institut, Congrès, Musée, titres, revues, collections et calendriers spécialisés et, dans une moindre mesure, au sein des universités, les sciences coloniales se sont d'emblée conçues à la fois comme connaissance de l'Afrique et comme analyse du processus colonial lui même. Il serait donc partial d'ignorer leur fonction instrumentale d'exploitation domestication ou, à l'inverse, de négliger leurs déterminations propres à l'édification d'institutions savantes élitistes. Cette reconstruction n'est pas seulement sous tendue d'un dessein historique de dévoileraient. Le moment scientifique colonial, systématiquement occulté ou " épuré " et fort aisément reconverti en sciences du développement, a décisivement orienté la matrice de production des connaissances du lointain. En témoignent des contenus de publications, des programmes de recherche, des théories et polémiques, mais bien davantage encore la création de dispositifs institutionnels durables, produits mais aussi instruments des politiques de la connaissance du XXe siècle.