" C'est comme ça que j'ai appris que quelqu'un du bureau municipal du recensement était venu frapper à toutes les portes et qu'il avait cherché à savoir combien de personnes vivaient dans chaque appartement, qu'il avait laissé entendre qu'une opération immobilière était en cours et que les habitants devraient quitter les lieux. De nouveau le silence. Ils étaient tous impressionnés par la concision de Gondrand même s'ils étaient déçus par l'absence de détails. Il n'y a que les Européens pour parler comme ça : ils disent tout et ils ne disent rien à la fois. Et après ils se taisent. Ils n'ont pas la bouche sucrée et ne savent pas parler long avec toute l'entournure. Ils font même pas la pause pour le thé. C'est pas eux qui feraient de bons griots. - Ecoutez, ai-je-dit. Les expulsions, ça prend du temps. Un an au minimum. - Et après ? m'a demandé Liu Si qui devait déjà calculer ce que lui coûterait le déménagement de ses ateliers clandestins. - Après, j'en sais rien. Mais d'abord il faut savoir ce qu'il en est exactement. Si vous voulez, j'irai me renseigner à la mairie... " Julien Daudet, prof de lettres revenu de toutes les illusions et écrivain public à ses moments perdus, ignorait dans quel engrenage il mettait le doigt. Il savait que le monde entier était au coin de sa rue, avec sa verve et son humour, mais pas qu'il allait y faire des rencontres inattendues, que sa vie en serait bouleversée, et qu'il retrouverait le goût du bonheur...