Deux bras nus l'étreignirent impétueusement ! le tirèrent, le couchèrent sur de la peau vivante et palpitante, tandis qu'une bouche lui mettait dans la bouche un bâillon de chair grasse et mouillée ; et, dans ses cheveux, sur ses joues, sur son cou, des doigts se multipliaient, lents et violents, comme sans nombre. Alors, fuyant les lèvres lourdes qui lui avalaient tout le souffle, il se déroba, en criant ; mais les bras le ressaisirent, les doigts déchiraient, arrachaient, avec des fureurs et des adresses, ses vêtements, draps et toiles, et, dévêtu, renversé sous la pesée d'un corps qui bientôt glissa, Evelin, en pleurs, plein de transes et d'affres, ses jambes battant l'air, et ses grêles hanches immobilisées entre deux mains brutales, longues et fines, subit, en sa vierge nubilité fragile, le viol goulu, frénétique, silencieusement dévorateur, d'un long baiser infâme.
Jamais réédité depuis 1887, ce roman est surtout connu pour la fameuse description de la brasserie parisienne, reflet du microcosme littéraire français, à son âge d'or, la deuxième moitié du XIXe siècle. Catulle Mendès y dresse des portraits au vitriol d'écrivains, poètes, artistes sans génie, tentant de faire illusion. Le texte est intéressant à plus d'un titre, l'auteur décrit avec beaucoup de saveur, son milieu social et sa profession, certes, mais il a surtout l'audace de dépeindre un satyre féminin sous les habits d'une femme de la bourgeoisie moyenne, sans grande envergure humaine au demeurant, une sorte d'anti-héroïne, mais qui passée la frontière de son alcôve et libérée de son corset, viole, violente, débauche un adolescent à peine pubère, harponné dès sa première promenade, seul et émancipé d'une mère surprotectrice, sur les boulevards parisiens.
Marqué au fer par cette rencontre, toute la destinée de ce jeune homme, candidat au génie littéraire, comme ses compagnons de café, en sera déterminée.