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Aucun de nous ne savait exactement où nous allions et Dragan nous avait seulement dit de prendre des tenues décontractées et d'avoir l'air aussi négligé que possible, parce que selon lui les gens du groupe précédent étaient trop bien mis. Les Anglais s'étaient plaints qu'ils n'avaient pas vraiment l'air de réfugiés. La semaine précédente, Dragan avait fait à ma mère leur portrait au téléphone : "Ils avaient l'air de s'être habillés pour une noce !" J'imaginais mes vaniteuses compatriotes dans les vêtements à la mode italienne emportés de chez elles à la hâte, rouge à lèvres et ombre à paupières impeccables en guise d'armure.
Tout naturellement, les Anglais s'étaient attendus à quelque chose d'un peu plus dans le "genre" réfugiés : une population en souffrance, les épreuves lisibles sur les visages, les vêtements déchirés et froissés, les yeux des enfants rougis à force de pleurer. Dragan slalomait dans la foule pour inspecter de près la tenue de chacun, coincer un bout de chemise, de jupe ou de pantalon entre deux doigts et frotter, afi n d'éprouver leur qualité, une grimace de dégoût sur le visage.
Il apparaissait que nous étions bien loin d'être dans la norme. Mais la devise tacite de ces mères bosniaques était : "Si nous devons devenir des réfugiées, ne donnez pas notre misère en spectacle, laissez-nous au moins avoir belle allure", et je pouvais les comprendre. Ce n'était pas facile de passer sans transition à l'état de refugié.