Au secours, les tués ! Assistez-moi, que je ne sois pas obligé de vivre parmi des hommes qui, par ambition démesurée, ont ordonné que des cœurs cessent de battre, que des mères aient des cheveux blancs ! Revenez ! Demandez-leur ce qu'ils ont fait de vous ! Ce qu'ils ont fait quand vous souffriez par leur faute avant de mourir par leur faute ! Cadavres en armes, formez les rangs et hantez leur sommeil. Avancez ! Avance, cher partisan de l'esprit, et réclame-leur ta chère tête ! Avance pour leur dire que tu ne veux plus jamais te laisser utiliser pour ça ! Et toi là-bas, avec ce visage défiguré à ton dernier instant, lorsque la bête sauvage, l'écume aux lèvres, se précipita sur toi - avance ! Ce n'est pas votre mort - c'est votre vie que je veux venger sur ceux qui vous l'ont infligée ! J'ai dessiné les ombres qu'ils sont et qu'ils voulaient transformer en apparence ! Je les ai dépecés de leur chair ! Mais les pensées nées de leur bêtise, les sentiments nés de leur malignité, je les ai affublés de corps et je les laisse se mouvoir ! Si on avait conservé les voix de cette époque, la vérité extérieure aurait démenti la vérité intérieure, et l'oreille n'aurait reconnu ni l'une ni l'autre. J'ai sauvegardé la substance, et mon oreille a découvert la résonance des actes, mon œil le geste des discours, et ma voix, chaque fois qu'elle citait, a retenu la note fondamentale, jusqu'à la fin des jours. Les faits mis en scène ici par Karl Kraus se sont réellement produits ; les conversations les plus invraisemblables ont été tenues mot pour mot ; les inventions les plus criardes sont des citations ; les récits prennent vie sous forme de personnages, les personnages dépérissent sous forme d'éditorial ; la chronique a reçu une bouche qui la profère en monologues, de grandes phrases sont plantées sur deux jambes - bien des hommes n'en ont plus qu'une. Quiconque a les nerfs fragiles, bien qu'assez solides pour endurer cette époque, qu'il se retire du spectacle.