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Les Lettres à Trebutien, assurément l'une des plus belles corresondances du XIXe siècle, avaient été très tôt envisagées par Barbey lui-même comme devant faire l'objet d'une publication. Il n'était pas loin d'y voir son chef-d'oeuvre. Outre l'information incomparable qu'elles nous offrent sur le travail au jour le jour du critique et du romancier, ses fréquentations, ses opinions, goûts et dégoûts, ses luttes pour s'imposer, ses ambitions et ses doutes, sa vie sentimentale, ses projets, elles nous régalent d'une fête de style d'autant plus opulente que, toutes censures levées et dans le déshabillé de l'intime, l'épistolier s'ébroue en parfaite liberté.
Ton, geste, Barbey à chaque phrase surgit intégral, de pied en cap, et nous "fait présence" intensément, comme disait sa chère Eugénie de Guérin. A quoi s'ajoute un fascinant document psychologique sur une amitié flamboyante, mais très complexe et vite déséquilibrée : un exilé solaire (ou se voulant tel) et conquérant se répand en protestations d'affection hyperboliques cachant mal qu'il exploite un partenaire taillable et corvéable à merci, voué à contempler de loin, avec des sentiments mêlés d'admiration sincère et d'inavouable jalousie, la trajectoire astrale à laquelle il a beaucoup contribué, tout en sachant qu'il n'existera que par les rayons qu'elle aura fait tomber sur lui.
Et la postérité a confirmé ces craintes : Trebutien, dont les réponses sont perdues, n'est plus pour nous aujourd'hui que le destinataire muet des lettres de Barbey. C'est injuste assurément, car cet orientaliste et médiéviste érudit, sans parler de ses exceptionnelles qualités de dévouement, méritait d'exister par lui-même, mais tel était son destin : être le clair de lune de plus brillant que lui.
Ces nouvelles lettres où sont abordés de nombreux sujets importants comme la pulbication de Madame Bovary et des Fleurs du Mal, les morts de Béranger et de Custine, ne sont pas moins intenses que celles déjà connues, mais permettent d'approfondir cette relation complexe.