Depuis qu'elle s'est retirée, abandonnant ses signes sur les plages de notre civilisation, l'œuvre d'Ezra Pound est (1885-1972) devenue le lieu d'une intense lutte de pouvoir dont les énoncés excèdent le cadre de la représentation que chacun peut se faire de cette œuvre. On a parlé de génie poétique, d'érudit savant, d'archétype de la modernité, mais aussi de trahison, de fascisme, de folie, quand on a tenté de saisir par des mots l'insaisissable Ezra Pound. C'est dire si l'on a rôdé autour de l'œuvre sans en toucher le centre nerveux, et du personnage, sans parvenir jamais à en trouver une définition illuminante. Plus de deux cents livres en témoignent. En voilà un de plus. Son point de départ ? Les attaques de certains inquisiteurs révisionnistes à l'encontre de Pound comme à l'encontre de la modernité révolutionnaire du XXe siècle, à travers un exemple révélateur. Sa dynamique ? Le rôle de Pound dans l'histoire souterraine de ce siècle dont les épisodes sont très connus et peut-être méconnus. Tout au long de son périple, Ezra Pound s'est battu contre la soumission du langage et de la pensée au système exclusif de l'Usure, le pouvoir de l'argent : Ce que tu aimes bien demeure, le reste est déchet/Ce que tu aimes bien ne te sera pas arraché/Ce que tu aimes bien est ton véritable héritage/A qui est le monde, à moi, à eux ou bien n'est-il à personne ? nous disent Les Cantos. Il ne s'est pas contenté de l'écrire, il y a aussi engagé sa vie. Dans une société aussi criminellement marchande que la nôtre, c'était et cela demeure inacceptable. Pour cette raison, capitale et cruciale, on a fait en sorte qu'Ezra Pound reste dans sa cage de fer. On le considère comme un marginal, un fou et, de surcroît, comme un barbare. Il rêvait pourtant de retrouver le paradis par la parole. Autant dire une civilisation et une humanité nouvelles.