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La migration depuis les pays des Sud vers l'Europe est la plupart du temps présentée dans les médias comme une invasion et une menace. En réalité cette "crise migratoire" révèle les ambivalences des politiques européennes. Depuis l'accord de Schengen en 1985, qui a introduit la libre circulation des citoyens au sein de l'Union européenne, la frontière n'est plus conçue comme une ligne physiquement définie, mais comme un espace dynamique qui s'étend et implique des Etats non européens.
Invoquant un argument "humanitaire" de protection des migrants (des passeurs criminels et du risque mortel de la traversée de la Méditerranée), l'UE s'efforce d'empêcher tout mouvement dès son départ. En réalité, le passage en bateau vers l'Europe n'est que le dernier moment d'un long voyage qui a été marqué par de nombreux dangers bien avant d'atteindre la mer. Ce qui attend une bonne partie des migrants qui atteignent l'Europe, c'est qu'une sorte de piège au frontière du droit se referme sur eux.
Dans ce livre, ce piège, c'est l'Italie de Lampedusa. Les témoignages présentés montre comment les migrants se retrouvent emprisonnés pendant des années, sans papiers, sans visas et sans argent, sans accès légal à l'emploi. Non-citoyens, ils n'ont d'autre choix que de travailler dans des conditions inacceptables. Ainsi, les personnes qui arrivent en Europe dans ces conditions forcées se retrouvent dans le segment le plus bas du marché du travail, le plus exploiteur ; elles sont à la merci de leurs employeurs et privées de tout droit - ce que l'auteur désigne à bon droit comme une forme d'esclavage.
Si les discours publics et médiatiques dénoncent ces migrants comme un coût insupportable et une menace, ils se révèlent être pour certains un potentiel économique très lucratif : avec la complicité de l'Europe qui permet le maintien d'un grand nombre de gens dans une insécurité extrême, un esclavage est en effet rendu possible, avec l'accord tacite des autorités locales et la complicité de la Mafia, qui permet une exploitation par des patrons sans scrupules, d'une armée de réserve de travailleurs flexibles et interchangeables.
Cela a lieu principalement en périphérie - dans les vergers du sud de l'Italie ou du sud de l'Espagne. L'horreur éprouvée face à ce traitement des migrants en Europe révèle une autre transformation du capitalisme. La misère et les dictatures laissées derrière par le colonialisme européen dans les pays du Sud, comme la pénétration des marchés locaux par des produits occidentaux fortement subventionnés, provoquent la fuite de nombreux migrants.
Le recours à une main-d'oeuvre migrante et sous-payée pour financer le mode de vie impérial de l'Occident n'est pas seulement une urgence humanitaire, mais un modèle de production. L'exploitation des migrants en Calabre, loin d'exprimer l'échec du modèle économique néolibéral, constitue au contraire une condition de son fonctionnement.