L’Histoire des ducs de Normandie de Benoît de Sainte-Maure participe de la large production littéraire du XIIe siècle qui traduit les préoccupations historiques des écrivains en langue vernaculaire animés par cette recherche passionnée des origines et de l’hérédité que commanditent les pouvoirs politiques. Ecrite à la cour d’Henri II Plantagenêt, vraisemblablement à la demande du roi, informée des luttes politiques et sensible à la marche du temps, cette version du passé normand illustre les desseins d’un auteur qui, tout en étant un courtisan attaché aux intérêts royaux, n’en reste pas moins un véritable historien. Ancrée dans une conception chrétienne de l’histoire qui, tout en permettant une meilleure intelligibilité du passé, donne corps à la justification d’un lien étroit entre l’économie du Salut et la politique royale, son oeuvre est nourrie de procédés rhétoriques élaborés par les historiens antiques dont elle épouse les visées. Panégyriques, portraits, discours délégués, ces « ornements » attendus de l’écriture historiographique contribuent à conférer au récit vernaculaire son lustre d’opus oratorium : ils relèvent d’une tradition et obéissent à des règles auxquelles l’historien s’est, à bien des égards, conformé, et qu’il a su adapter à la fonction apologétique et didactique dévolue traditionnellement à l’écriture de l’histoire. Car l’Histoire des ducs de Normandie, où s’esquisse un programme de gouvernement fondé sur une éthique et des valeurs religieuses, morales et politiques, se veut aussi « miroir des princes », même si l’enseignement dispensé ne prend jamais la forme d’un traité politique. Benoît de Sainte-Maure ne se pose ni en théoricien de la royauté ni en juge de son roi, mais assume le rôle de courtisan appointé, soucieux de répondre aux désirs de son commanditaire, ambition qui, loin de contrevenir à la mission d’un historien, est à l’origine du développement de l’historiographie tant antique que chrétienne, où le souci de légitimer le présent engage la récriture du passé. Dans une histoire qui voit la réalisation d’un plan divin, le règne d’Henri II est l’aboutissement et la consécration d’une trajectoire qui va de la création du monde à l’Angleterre des Plantagenêt.