Ladite "Querelle du panthéisme" (Pantheismus ou Spinozismusstreit), dont le premier épisode saillant occupe les années 1785-1789, est certainement un des événements majeurs de l'histoire de la pensée allemande moderne : elle marque un tournant entre la philosophie des Lumières et l'idéalisme allemand classique, mais elle dévoile aussi des interrogations et des enjeux qui, à travers cette autre querelle qu'eût à affronter Fichte - la Querelle de l'athéisme -, à travers le débat ouvert, contre Schlegel, puis contre Jacobi, par le Schelling des Recherches sur l'essence de la liberté humaine, trouveront des échos jusque dans la période contemporaine, chez Heidegger et Cassirer ou Gadamer et Habermas. En dépit de toutes ses réticences, voire d'une stratégie bien arrêtée d'évitement, comment Kant - figure majeure de la critique et de l'Aufklärung, mais aussi défenseur de l'idée d'une foi pratique et d'une délimitation stricte du "savoir" - aurait-il pu se tenir tout à fait à l'écart du débat ? Débat ouvert de manière fracassante par Jacobi à l'automne 1785 avec la publication de ses Lettres à Moses Mendelssohn sur la doctrine de Spinoza, et sa double révélation : "Lessing avait été spinoziste" - "Il n'y a pas d'autre philosophie que la doctrine de Spinoza". Il fallait donc "intervenir", et cela non seulement parce que les Aufklärer, amis de Mendelssohn, l'en pressaient, mais aussi parce que Kant risquait de se trouver lui-même directement mis en cause, comme il l'écrira à Jacobi en 1789 : " Je fus contrait de publier contre mon gré pour lever le doute qui pesait sur ma personne en raison de mon soi-disant spinozisme... ". Mais, au-delà même de cette possible implication personnelle dans les épisodes complexes de cette Querelle, ce qui devait inciter Kant à prendre position, c'était l'enjeu central du débat : la question de la liberté et de la raison ("la raison ne cesse de tendre vers la liberté"), la question en laquelle peuvent se résumer toutes les autres : Qu'est-ce que l'homme ? L'introduction historico-doctrinale, très substantielle, et l'annotation d'Alexis Philonenko montrent bien comment cet "opuscule" de 1786 n'est pas seulement un texte de circonstances, mais un témoignage caractéristique d'un style et d'une manière de penser, s'il est vrai que, pour Kant, "s'orienter dans la pensée", c'est ultimement décider librement "ce qu'un homme doit être et la route qu'il doit suivre".