Voltaire, du fond de sa chambre, gouvernait le royaume des esprits, cette Europe des Lumières qui vivait suspendue à ses oracles, riait de ses blasphèmes, répondait à ses indignations, lisait avec avidité les " fusées volantes " qu'il tirait de ses tiroirs à une cadence infernale, le plaçait enfin au rang des dieux, dans l'Olympe de la philosophie. Ecrivain émérite en tous genres, poète, tragédien, historien, conteur, romancier, philosophe, épistolier de génie, pamphlétaire mordant à l'ironie mortelle, avocat, théologien et honnête homme à l'occasion, le patriarche de Ferney, sage pirouettant, ne fut pas seulement un géant des lettres françaises, mais le guide spirituel de toute son époque. Lu pour le plaisir, redouté, pour ses sarcasmes, admiré pour son courage, haï au Panthéon, voué au séjour infernal par les autres. Il a inventé un métier, celui d'intellectuel qui sommeillait jusqu'alors sous le masque de l'homme de lettre, et il l'a aussitôt illustré et revêtu d'un prestige que ne dépasseront ni les Zola ni les Tolstoï. Il a montré, dans les grandes causes où il engagea toutes les ressources de son intelligence et de son esprit, ce que pouvait une plume trempée dans l'encre de la justice et de l'humanité. Ami des rois, il connut la Bastille et l'Exil ; apôtre de la tolérance, il fut persécuté. En un siècle, le nôtre, où sévit encore la torture, où les fanatismes s'exaltent, où l'indépendance et la dignité de l'homme sont trop fréquemment bafouées, la leçon de Voltaire n'est pas périmée, et il peut être encore, pour nos consciences trop souvent assoupies, un directeur que l'âge n'a pas usé, un modèle pur ne pas succomber aux veuleries de la résignation.