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Ce numéro est intégralement consacré à Adorno, penseur surtout connu en France pour ses contributions à l'esthétique et à la théorie de la musique, et vise à retracer une image d'ensemble de son oeuvre philosophique. À cette fin sont réunis plusieurs types de textes : des articles portant sur le rapport d'Adorno à des figures centrales de la philosophie (Kierkegaard et Hegel), des contributions s'attachant à cerner l'actualité philosophique de sa pensée, et une étude consacrée à la théorie littéraire du philosophe.
Dans " Le Kierkegaardbuch revisité ", Agnès Gayraud examine la critique par Adorno de la conception kierkegaardienne de la subjectivité, qu'elle replace dans le contexte philosophique de l'époque : prenant ses distances avec les interprétations de Kierkegaard par Lukács et Kracauer, d'un subjectivisme romantique excessif, il recourt à la figure benjaminienne de l'allégorie pour élaborer une critique matérialiste de l'existentialisme kierkegaardien.
S'amorce ainsi dès le Kierkegaardbuch une critique dialectique et matérialiste de la subjectivité. Dans " La dialectique hegelo-adornienne ", Alain Patrick Olivier s'attache à ressaisir le lien entre dialectiques hégélienne et adornienne : Adorno se livre moins à une critique qu'à une réhabilitation et une réappropriation de la philosophie hégélienne, se démarquant ainsi des trois positions dominantes qu'étaient le positivisme, l'heideggérianisme et le matérialisme dialectique.
Par là s'explique l'aspect provocateur de l'approche adornienne, soucieuse de dégager, dans la pensée hégélienne, ce qui peut y paraître le plus risqué, primat du tout, dialectique comme méthode, définition du Beau comme moment de l'absolu... Dans " un jeu avec le réel ", Julia Christ s'intéresse à la méthode d'interprétation adornienne de la réalité sociale, qu'elle définit comme jeu avec le réel : l'acte d'identification n'y est ni pure activité du sujet, ni complète reddition devant une objectivité sociale pré-donnée, mais interaction entre deux sujets où chacun peut faire valoir ses expériences propres et les ajuster à celles de l'autre.
Adorno critique ainsi toute pensée identificatrice éludant ce jeu d'interactions où s'opposent et se testent des pratiques subjectives de structuration du réel. Dans " Adorno et le mythe du donné ", Gilles Moutot dégage, par un rapprochement original avec McDowell, la portée sociale et cognitive de la théorie de la connaissance adornienne : par le concept de mimésis, Adorno tente de sauver à la fois la réalité de l'objet et la consistance du moment subjectif, élaborant une critique conjointe de l'idéalisme et du poitivisme ; l'auto-réflexion du sujet est comprise comme mouvement par lequel il se tente de comprendre le réel tout en prenant une distance critique vis-à-vis de la société qui le détermine.
Enfin, dans " Le tact, expérience de la littérature ", Antonin Wiser restitue les principes régissant l'interprétation adornienne de Proust : dans l'ensemble des textes où il est question de Proust, Adorno y développe des techniques d'écriture et d'analyse s'efforçant de rendre compte ce qui en lui est " spécifique, et plus que spécifique ", tout en lui appliquant sa conception générale de la littérature.