Très déçu par ce livre, tout d'abord parce que je pensais y trouver des critiques stimulantes sur ma vision des choses (disons plutôt holiste celle de Gérald Bronner étant plutôt une incarnation du progressisme libéral centrée sur l'individu).
Si vous avez déjà lu le "Bug humain" de Sébastien Bohler et si vous avez vu le documentaire "The social dilemma" sur les réseaux sociaux, ce livre ne vous apprendra pas grand-chose. Les problèmes posés s'ils sont convaincants ont déjà été exposés clairement ailleurs. L'auteur nous livre ses réflexions sur ces questions sans que cela
s'appuie sur une étude ou une enquête sociologique de première main. Le fait d'utiliser un vocabulaire économique (dérégulation du marché cognitif, offre et demande de connaissance etc...) n'améliore pas vraiment la compréhension du sujet. Par ailleurs, le ton assez condescendant et polémique de l'auteur pour ses adversaires donne parfois la pénible impression que l'on parcourt un fil Twitter fait de clashs et de polémiques (si on n'est pas d'accord avec lui, on est au choix irrationnel, obscurantiste, démagogique...).
Pour résumer, la "révélation" de G. Bronner, serait que la "dérégulation du marché cognitif" (schématiquement la diminution des barrières morales pour la diffusion et l'accès à toute sorte de contenu (pornographie, information, réseaux sociaux...) et la facilité apportée par les nouvelles technologies) nous montre notre "vraie nature" : nous sommes gouvernés par nos pulsions. Celles-ci jouent en notre défaveur face aux géants du numérique qui les utilisent, de même que nos biais cognitifs, pour capter notre attention, qui ne peut plus être utilisée pour trouver des solutions aux problèmes contemporains (notamment le changement climatique).
Wow... bien sûr, tout cela est appuyé par de nombreuses citations d'articles de neuro-sciences ou de psychologie sociale. Mais finalement, on a l'impression que les résultats des neurosciences confirme l'intuition des théories antiques de philosophie morale notamment le stoïcisme (il faut apprendre à se contrôler...) voire même le christianisme par certains aspects (concupiscence, nécessité de réprimer les pulsions...).
Ce qui est assez paradoxal, c'est que G. Bronner se présente comme un Moderne militant (le progrès scientifique et technique va amener au bonheur des populations) en lutte contre l'obscurantisme alors que finalement sa "révélation" rejoint la thématique du péché originel des Antimodernes, l'origine religieuse ayant été remplacée par une origine physiologique héritée de l'évolution de l'espèce humaine.
Sa défense du progrès par la science est même touchante et on retrouve bien un certain optimisme naïf propre au siècle de des Lumières (il faut faire confiance à la raison et à l'inventivité de l'esprit humain qui va nous sortir de ce mauvais pas). Il est d’ailleurs aussi savoureux de le voir verser dans une certaine nostalgie de l’âge d’or de progressisme (cf. citations de Condorcet ou de Jean Perrin), attitude typiquement traditionnaliste ou antimoderne.
Face à cette reconnaissance de notre "vraie" nature, Gérald Bronner voit deux types d'adversaires idéologiques qu'il va critiquer (c'est une partie polémique et assez pénible à lire): premièrement, ceux que l'on pourrait qualifier de rousseauistes ("l'homme naît bon, c'est la société qui le corrompt") auxquels on peut rattacher tous les courants critiques du capitalisme (remplacer société par exploitation capitaliste) et la plupart des écologistes (plus particulièrement les décroissants). A ceux-là, G. Bronner reproche de rester aveugle à la "vraie nature" de l'être humain poussé par ses pulsions qui n'a pas besoin de l'exploitation capitaliste pour se vautrer dans la pornographie ou préférer la télé-réalité à Arte. Ce que je lui accorde facilement, mais ce n'est pas pour cela qu'il n'y a pas d'exploitation ou plus généralement de phénomènes de domination qu'on est en droit de critiquer et de vouloir corriger sans être un "naïf" aveuglé par l'idéologie de l'homme dénaturé (c'est juste qu'on n'a pas la même vision que toi Gérald)... Par ailleurs, le débat sur la croissance vaut peut-être mieux qu'une relégation des décroissants dans le camp des obscurantistes et de l'irrationalisme.
Les autres types d'adversaires idéologiques sont les populistes, terme un peu galvaudé mais auquel G. Bronner a le mérite de donner une définition claire (ce qui n'est pas souvent le cas dans le débat public où moins qu'un concept c'est une étiquette voulue infâmante que l'on colle à son adversaire). Dans ses illustrations, G. Bronner parle surtout du populisme de droite (Trump, Bolsonaro...) ce qui ne l'empêche pas d'envoyer quelques piques aux représentants du populisme de gauche (Mélenchon mais c'est de bonne guerre). Pour lui, les populistes reconnaissent la "vraie nature" de l'homme, dominé par ses pulsions mais au lieu de les combattre, les caressent dans le sens du poil en faisant des élites les boucs émissaires de tout ce qui ne va pas.
La seule partie que j'ai trouvée intéressante ce sont les réflexions plus mesurées menée en conclusion notamment sur la plasticité du cerveau (donc sa capacité à surmonter des "déterminismes" sociaux) et la nécessité de promouvoir une réelle égalité des chances (quelle que soit le sexe, l'origine sociale et ethnique). Le danger du court-termisme (notamment dans la recherche du profit) et l'importance pour les institutions de capitaliser sur leurs erreurs et de ne pas les considérer comme des fautes morales (cf. jeux de politique politicienne). La remise en cause du modèle économique classique via la théorie des jeux notamment dans le domaine du climat et de la survie de l'espèce humaine (intérêt individuel vs bien commun). Mais bon, est-ce que ça valait la peine d'écrire tout ce qui était avant?
Une "révélation" qu'on peut ne pas lire
Très déçu par ce livre, tout d'abord parce que je pensais y trouver des critiques stimulantes sur ma vision des choses (disons plutôt holiste celle de Gérald Bronner étant plutôt une incarnation du progressisme libéral centrée sur l'individu).
Si vous avez déjà lu le "Bug humain" de Sébastien Bohler et si vous avez vu le documentaire "The social dilemma" sur les réseaux sociaux, ce livre ne vous apprendra pas grand-chose. Les problèmes posés s'ils sont convaincants ont déjà été exposés clairement ailleurs. L'auteur nous livre ses réflexions sur ces questions sans que cela s'appuie sur une étude ou une enquête sociologique de première main. Le fait d'utiliser un vocabulaire économique (dérégulation du marché cognitif, offre et demande de connaissance etc...) n'améliore pas vraiment la compréhension du sujet. Par ailleurs, le ton assez condescendant et polémique de l'auteur pour ses adversaires donne parfois la pénible impression que l'on parcourt un fil Twitter fait de clashs et de polémiques (si on n'est pas d'accord avec lui, on est au choix irrationnel, obscurantiste, démagogique...).
Pour résumer, la "révélation" de G. Bronner, serait que la "dérégulation du marché cognitif" (schématiquement la diminution des barrières morales pour la diffusion et l'accès à toute sorte de contenu (pornographie, information, réseaux sociaux...) et la facilité apportée par les nouvelles technologies) nous montre notre "vraie nature" : nous sommes gouvernés par nos pulsions. Celles-ci jouent en notre défaveur face aux géants du numérique qui les utilisent, de même que nos biais cognitifs, pour capter notre attention, qui ne peut plus être utilisée pour trouver des solutions aux problèmes contemporains (notamment le changement climatique).
Wow... bien sûr, tout cela est appuyé par de nombreuses citations d'articles de neuro-sciences ou de psychologie sociale. Mais finalement, on a l'impression que les résultats des neurosciences confirme l'intuition des théories antiques de philosophie morale notamment le stoïcisme (il faut apprendre à se contrôler...) voire même le christianisme par certains aspects (concupiscence, nécessité de réprimer les pulsions...).
Ce qui est assez paradoxal, c'est que G. Bronner se présente comme un Moderne militant (le progrès scientifique et technique va amener au bonheur des populations) en lutte contre l'obscurantisme alors que finalement sa "révélation" rejoint la thématique du péché originel des Antimodernes, l'origine religieuse ayant été remplacée par une origine physiologique héritée de l'évolution de l'espèce humaine.
Sa défense du progrès par la science est même touchante et on retrouve bien un certain optimisme naïf propre au siècle de des Lumières (il faut faire confiance à la raison et à l'inventivité de l'esprit humain qui va nous sortir de ce mauvais pas). Il est d’ailleurs aussi savoureux de le voir verser dans une certaine nostalgie de l’âge d’or de progressisme (cf. citations de Condorcet ou de Jean Perrin), attitude typiquement traditionnaliste ou antimoderne.
Face à cette reconnaissance de notre "vraie" nature, Gérald Bronner voit deux types d'adversaires idéologiques qu'il va critiquer (c'est une partie polémique et assez pénible à lire): premièrement, ceux que l'on pourrait qualifier de rousseauistes ("l'homme naît bon, c'est la société qui le corrompt") auxquels on peut rattacher tous les courants critiques du capitalisme (remplacer société par exploitation capitaliste) et la plupart des écologistes (plus particulièrement les décroissants). A ceux-là, G. Bronner reproche de rester aveugle à la "vraie nature" de l'être humain poussé par ses pulsions qui n'a pas besoin de l'exploitation capitaliste pour se vautrer dans la pornographie ou préférer la télé-réalité à Arte. Ce que je lui accorde facilement, mais ce n'est pas pour cela qu'il n'y a pas d'exploitation ou plus généralement de phénomènes de domination qu'on est en droit de critiquer et de vouloir corriger sans être un "naïf" aveuglé par l'idéologie de l'homme dénaturé (c'est juste qu'on n'a pas la même vision que toi Gérald)... Par ailleurs, le débat sur la croissance vaut peut-être mieux qu'une relégation des décroissants dans le camp des obscurantistes et de l'irrationalisme.
Les autres types d'adversaires idéologiques sont les populistes, terme un peu galvaudé mais auquel G. Bronner a le mérite de donner une définition claire (ce qui n'est pas souvent le cas dans le débat public où moins qu'un concept c'est une étiquette voulue infâmante que l'on colle à son adversaire). Dans ses illustrations, G. Bronner parle surtout du populisme de droite (Trump, Bolsonaro...) ce qui ne l'empêche pas d'envoyer quelques piques aux représentants du populisme de gauche (Mélenchon mais c'est de bonne guerre). Pour lui, les populistes reconnaissent la "vraie nature" de l'homme, dominé par ses pulsions mais au lieu de les combattre, les caressent dans le sens du poil en faisant des élites les boucs émissaires de tout ce qui ne va pas.
La seule partie que j'ai trouvée intéressante ce sont les réflexions plus mesurées menée en conclusion notamment sur la plasticité du cerveau (donc sa capacité à surmonter des "déterminismes" sociaux) et la nécessité de promouvoir une réelle égalité des chances (quelle que soit le sexe, l'origine sociale et ethnique). Le danger du court-termisme (notamment dans la recherche du profit) et l'importance pour les institutions de capitaliser sur leurs erreurs et de ne pas les considérer comme des fautes morales (cf. jeux de politique politicienne). La remise en cause du modèle économique classique via la théorie des jeux notamment dans le domaine du climat et de la survie de l'espèce humaine (intérêt individuel vs bien commun). Mais bon, est-ce que ça valait la peine d'écrire tout ce qui était avant?